Safaris
Une aura de légende
Les grands voyages se résument souvent à une poignée de souvenirs qui restent à jamais gravés dans l’esprit. L’Afrique orientale pourrait ainsi faire l’objet d’un « petit inventaire des sens » : la dégustation d’une côte d’agneau caramélisée au miel d’acacia sur une colline surplombant les steppes massaï ; le parfum des mopanes brûlées au cœur des vallées zambiennes ou l’appel d’un aigle pêcheur hantant les brumes matinales dans le Delta de l’Okavango.
L’homme renoue avec son passé dans chacune de ces sensations : présent dans cette partie du monde depuis plusieurs centaines de milliers d’années, il a sculpté les paysages, favorisé certaines espèces aux dépens d’autres, fondé des civilisations au plus près de la nature.
En dépit des apparences, l’Afrique est loin d’être sauvage et dépeuplée : sans l’homme, l’écosystème du continent s’écroule… Ici, le long de la vallée du grand Rift – faille géologique qui s’étend sur près de 6 000 kilomètres du Zambèze jusqu’à la mer Rouge –, les plantes, les animaux et les hommes parlent une langue commune, faite de liens subtils et essentiels.
C’est la « syntaxe magique » de l’Afrique. D’une sensation à l’autre, le voyage au long cours retrouve ici ses lettres de noblesse. Il est vrai que peu de destinations sont à même de rivaliser avec cette partie du monde. Où, sinon en Tanzanie, rencontre-t-on autant de grands mammifères dérivant dans des plaines immenses ?
Autant de plages paradisiaques sur l’océan, de tribus mythiques vivant en harmonie au milieu des steppes ? Où, sinon en Zambie, admire-t-on des chutes aussi vertigineuses que celles de Victoria ? Des hauts plateaux aussi isolés que ceux de Kafue, des espèces aussi rares que la girafe de Thornicroft ou la brève d’Angola ?
Dans le « chant infini des espèces », au milieu de toutes ces richesses naturelles, l’homme retrouve une forme d’harmonie avec le monde et avec lui-même. Une forme d’humilité aussi : il comprend qu’il ne laissera dans son sillage que quelques pierres noircies par le feu et l’empreinte de ses propres pas, que le vent effacera. Dans son Afrique fantôme, l’écrivain Michel Leiris confie qu’il espère revenir de ce continent comme « un autre homme, plus ouvert et guéri de ses obsessions ». Cette métamorphose – ou cette révélation intérieure – ne viendra jamais. L’écrivain comprendra plus tard que l’Afrique n’a rien d’un totem ancestral : façonnée par des hommes, en perpétuel devenir, elle est pleinement engagée dans l’histoire.